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.C'était là, en tout cas, ce qui éclatait aux yeux du docteur Rieuxqui, cherchant à gagner les faubourgs, cheminait seul, à la fin del'après-midi, au milieu des cloches, du canon, des musiques et des crisassourdissants.Son métier continuait, il n'y a pas de congé pour lesmalades.Dans la belle lumière fine qui descendait sur la ville, s'éle-vaient les anciennes odeurs de viande grillée et d'alcool anisé.Autourde lui des faces hilares se renversaient contre le ciel.Des hommes etdes femmes s'agrippaient les uns aux autres, le visage enflammé, avectout l'énervement et le cri du désir.Oui, la peste était finie avec laterreur, et ces bras qui se nouaient disaient en effet qu'elle avait étéexil et séparation, au sens profond du terme.Pour la première fois, Rieux pouvait donner un nom à cet air de fa-mille qu'il avait lu, pendant des mois, sur tous les visages des passants.Il lui suffisait maintenant de regarder autour de lui.Arrivés à la finde la peste, avec la misère et les privations, tous ces hommes avaientfini par prendre le costume du rôle qu'ils jouaient déjà depuis long-temps, celui d'émigrants dont le visage [321] d'abord, les habits main-tenant, disaient l'absence et la patrie lointaine.À partir du moment oùla peste avait fermé les portes de la ville, ils n'avaient plus vécu quedans la séparation, ils avaient été retranchés de cette chaleur humainequi fait tout oublier.À des degrés divers, dans tous les coins de la vil-le, ces hommes et ces femmes avaient aspiré à une réunion qui n'étaitpas, pour tous, de la même nature, mais qui, pour tous, était égalementAlbert Camus, LA PESTE (1947)271impossible.La plupart avaient crié de toutes leurs forces vers un ab-sent, la chaleur d'un corps, la tendresse ou l'habitude.Quelques-uns,souvent sans le savoir, souffraient d'être placés hors de l'amitié deshommes, de n'être plus à même de les rejoindre par les moyens ordi-naires de l'amitié qui sont les lettres, les trains et les bateaux.D'au-tres, plus rares, comme Tarrou peut-être, avaient désiré la réunionavec quelque chose qu'ils ne pouvaient pas définir, mais qui leur parais-sait le seul bien désirable.Et faute d'un autre nom, ils l'appelaientquelquefois la paix.Rieux marchait toujours.À mesure qu'il avançait, la foule grossis-sait autour de lui, le vacarme s'enflait et il lui semblait que les fau-bourgs, qu'il voulait atteindre, reculaient d'autant.Peu à peu, il sefondait dans ce grand corps hurlant dont il comprenait de mieux enmieux le cri qui, pour une part au moins, était son cri.Oui, tous avaientsouffert ensemble, autant dans leur chair que dans leur âme, d'unevacance difficile, d'un exil sans remède et d'une soif jamais conten-tée.Parmi ces, amoncellements de morts, les timbres des ambulances,les avertissements de ce qu'il est convenu d'appeler le destin, le piéti-nement obstiné de la peur et la terrible révolte de leur cœur, unegrande rumeur n'avait cessé de courir et d'alerter ces êtres épouvan-tés, leur disant qu'il fallait retrouver leur vraie patrie.[322] Pour euxtous, la vraie patrie se trouvait au delà des murs de cette ville étouf-fée.Elle était dans ces broussailles odorantes sur les collines, dans lamer, les pays libres et le poids de l'amour.Et c'était vers elle, c'étaitvers le bonheur, qu'ils.voulaient revenir, se détournant du reste avecdégoût.Quant au sens que pouvaient avoir cet exil et ce désir de réunion,Rieux n'en savait rien.Marchant toujours, pressé de toutes parts, in-terpellé, il arrivait peu à peu dans des rues moins encombrées et pen-sait qu'il n'est pas important que ces choses aient un sens ou non, maisqu'il faut voir seulement ce qui est répondu à l'espoir des hommes.Lui savait désormais ce qui était répondu et il l'apercevait mieuxdans les premières rues des faubourgs, presque désertes.Ceux qui,s'en tenant au peu qu'ils étaient, avaient désiré seulement retournerAlbert Camus, LA PESTE (1947)272dans la maison de leur amour, étaient quelquefois récompensés.Certes,quelques-uns d'entre eux continuaient de marcher dans la ville, solitai-res, privés de l'être qu'ils attendaient.Heureux encore ceux quin'avaient pas été deux fois séparés comme certains qui, avant l'épidé-mie, n'avaient pu construire, du premier coup, leur amour, et quiavaient aveuglément poursuivi, pendant des années, le difficile accordqui finit par sceller l'un à l'autre des amants ennemis [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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