[ Pobierz całość w formacie PDF ]
. Mais cette eau coule depuis mille ans !.Aussi, ce soir, n insistent-ils pas sur la cascade.Ilvaut mieux taire certains miracles.Il vaut même mieux99n y pas trop songer, sinon l on ne comprend plus rien.Sinon, l on doute de Dieu. Le Dieu des Français, vois-tu.Mais je les connais bien, mes amis barbares.Ils sontlà, troublés dans leur foi, déconcertés, et désormais siprès de se soumettre.Ils rêvent d être ravitaillés en orgepar l intendance française, et assurés dans leur sécuritépar nos troupes sahariennes.Et il est vrai qu une foissoumis ils auront gagné en biens matériels.Mais ils sont tous trois du sang d El Mammoun,émir des Trarza.(Je crois faire erreur sur son nom.)J ai connu celui-là quand il était notre vassal.Admisaux honneurs officiels pour les services rendus, enrichipar les gouverneurs et respecté par les tribus, il ne luimanquait rien, semble-t-il, des richesses visibles.Maisune nuit, sans qu un signe l ait fait prévoir, il massacrales officiers qu il accompagnait dans le désert, s emparades chameaux, des fusils, et rejoignit les tribusinsoumises.On nomme trahisons ces révoltes soudaines, cesfuites, à la fois héroïques et désespérées, d un chefdésormais proscrit dans le désert, cette courte gloire quis éteindra bientôt, comme une fusée, sur le barrage dupeloton mobile d Atar.Et l on s étonne de ces coups de100folie.Et cependant l histoire d El Mammoun fut celle debeaucoup d autres Arabes.Il vieillissait.Lorsque l onvieillit, on médite.Ainsi découvrit-il un soir qu il avaittrahi le dieu de l Islam et qu il avait sali sa main enscellant, dans la main des chrétiens, un échange où ilperdait tout.Et, en effet, qu importaient pour lui l orge et lapaix ? Guerrier déchu et devenu pasteur, voilà qu il sesouvient d avoir habité un Sahara où chaque pli dusable était riche des menaces qu il dissimulait, où lecampement, avancé dans la nuit, détachait à sa pointedes veilleurs, où les nouvelles, qui racontaient lesmouvements des ennemis, faisaient battre les cSursautour des feux nocturnes.Il se souvient d un goût depleine mer qui, s il a été une fois savouré par l homme,n est jamais oublié.Voici qu aujourd hui il erre sans gloire dans uneétendue pacifiée vidée de tout prestige.Aujourd huiseulement le Sahara est un désert.Les officiers qu il assassinera, peut-être les vénérait-il.Mais l amour d Allah passe d abord. Bonne nuit, El Mammoun. Que Dieu te protège !101Les officiers se roulent dans leurs couvertures,allongés sur le sable, comme sur un radeau, face auxastres.Voici toutes les étoiles qui tournent lentement,un ciel entier qui marque l heure.Voici la lune quipenche vers les sables, ramenée au néant, par SaSagesse.Les chrétiens bientôt vont s endormir.Encorequelques minutes et les étoiles seules luiront.Alors,pour que les tribus abâtardies soient rétablies dans leursplendeur passée, alors pour que reprennent cespoursuites, qui seules font rayonner les sables, il suffiradu faible cri de ces chrétiens que l on noiera dans leurpropre sommeil.Encore quelques secondes et, del irréparable, naîtra un monde.Et l on massacre les beaux lieutenants endormis.VÀ Juby, aujourd hui, Kemal et son frère Mouyanem ont invité, et je bois le thé sous leur tente.Mouyaneme regarde en silence, et conserve, le voile bleu tiré surles lèvres, une réserve sauvage.Kemal seul me parle etfait les honneurs : Ma tente, mes chameaux, mes femmes, mesesclaves sont à toi.102Mouyane, toujours sans me quitter des yeux, sepenche vers son frère, prononce quelques mots, puis ilrentre dans son silence. Que dit-il ? Il dit : « Bonnafous a volé mille chameaux auxR Gueïbat.»Ce capitaine Bonnafous, officier méhariste despelotons d Atar, je ne le connais pas.Mais je connais sagrande légende à travers les Maures.Ils parlent de luiavec colère, mais comme d une sorte de Dieu.Saprésence donne son prix au sable.Il vient de surgiraujourd hui encore, on ne sait comment, à l arrière desrezzous qui marchaient vers le Sud, volant leurschameaux par centaines, les obligeant, pour sauverleurs trésors qu ils croyaient en sécurité, à se rabattrecontre lui.Et maintenant, ayant sauvé Atar par cetteapparition d archange, ayant assis son campement surune haute table calcaire, il demeure là tout droit,comme un gage à saisir, et son rayonnement est tel qu iloblige les tribus à se mettre en marche vers son glaive.Mouyane me regarde plus durement et parle encore. Que dit-il ? Il dit : Nous partirons demain en rezzou contreBonnafous.Trois cents fusils.J avais bien deviné quelque chose.Ces chameaux103que l on mène au puits depuis trois jours, ces palabres,cette ferveur.Il semble que l on grée un voilierinvisible.Et le vent du large, qui l emportera, déjàcircule.À cause de Bonnafous chaque pas vers le Suddevient un pas riche de gloire.Et je ne sais plusdépartager ce que de tels départs contiennent de haineou d amour.Il est somptueux de posséder au monde un si belennemi à assassiner.Là où il surgit, les tribus prochesplient leurs tentes, rassemblent leurs chameaux etfuient, tremblant de le rencontrer face à face, mais lestribus les plus lointaines sont prises du même vertigeque dans l amour.On s arrache à la paix des tentes, auxétreintes des femmes, au sommeil heureux, on découvreque rien au monde ne vaudrait, après deux mois demarche épuisante vers le Sud, de soif brûlante,d attentes accroupies sous les vents de sable, de tomber,par surprise, à l aube, sur le peloton mobile d Atar, etlà, si Dieu permet, d assassiner le capitaine Bonnafous. Bonnafous est fort, m avoue Kemal.Je sais maintenant leur secret.Comme ces hommesqui désirent une femme, rêvent à son pas indifférent depromenade, et se tournent et se retournent toute la nuit,blessés, brûlés, par la promenade indifférente qu ellepoursuit dans leur songe, le pas lointain de Bonnafousles tourmente.Tournant les rezzous lancés contre lui, ce104chrétien habillé en Maure, à la tête de ses deux centspirates maures, a pénétré en dissidence, là où le dernierde ses propres hommes, affranchi des contraintesfrançaises, pourrait se réveiller de son servage,impunément, et le sacrifier à son Dieu sur les tables depierre, là où son seul prestige les retient, où sa faiblessemême les effraie.Et cette nuit, au milieu de leurssommeils rauques, il passe et passe indifférent, et sonpas sonne jusque dans le cSur du désert.Mouyane médite, toujours immobile dans le fond dela tente, comme un bas-relief de granit bleu.Ses yeuxseuls brillent, et son poignard d argent qui n est plus unjouet.Qu il a changé depuis qu il a rallié le rezzou ! Ilsent, comme jamais, sa propre noblesse, et m écrase deson mépris ; car il va monter vers Bonnafous, car il semettra en marche, à l aube, poussé par une haine qui atous les signes de l amour.Une fois encore il se penche vers son frère, parletout bas, et me regarde. Que dit-il ? Il dit qu il tirera sur toi s il te rencontre loin dufort. Pourquoi ? Il dit : tu as des avions et la T.S.F., tu asBonnafous, mais tu n as pas la vérité.105Mouyane immobile dans ses voiles bleus, aux plisde statue, me juge. Il dit : Tu manges de la salade comme les chèvres,et du porc comme les porcs.Tes femmes sans pudeurmontrent leur visage : il en a vu.Il dit : Tu ne priesjamais.Il dit : À quoi te servent tes avions, ta T.S.F
[ Pobierz całość w formacie PDF ]