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.»Villefort prévenait ainsi le danger d une enquête peuprobable, mais possible, enquête qui le perdait sans ressource.« Mais comment écrit-on au ministre ? Mettez-vous là, monsieur Morrel, dit Villefort, en cédant saplace à l armateur ; je vais vous dicter. Vous auriez cette bonté ? Sans doute.Ne perdons pas de temps, nous n en avons déjàque trop perdu. Oui, monsieur, songeons que le pauvre garçon attend,souffre et se désespère peut-être.»Villefort frissonna à l idée de ce prisonnier le maudissantdans le silence et l obscurité ; mais il était engagé trop avant pourreculer : Dantès devait être brisé entre les rouages de sonambition.« J attends, monsieur », dit l armateur assis dans le fauteuilde Villefort et une plume à la main.Villefort alors dicta une demande dans laquelle, dans un butexcellent, il n y avait point à en douter, il exagérait le patriotismede Dantès et les services rendus par lui à la cause bonapartiste ;dans cette demande, Dantès était devenu un des agents les plusactifs du retour de Napoléon ; il était évident qu en voyant unepareille pièce, le ministre devait faire justice à l instant même, sijustice n était point faite déjà. 192 La pétition terminée, Villefort la relut à haute voix.« C est cela, dit-il, et maintenant reposez-vous sur moi. Et la pétition partira bientôt, monsieur ? Aujourd hui même. Apostillée par vous ? La meilleure apostille que je puisse mettre, monsieur, estde certifier véritable tout ce que vous dites dans cette demande.»Et Villefort s assit à son tour, et sur un coin de la pétitionappliqua son certificat.« Maintenant, monsieur, que faut-il faire ? demanda Morrel. Attendre, reprit Villefort ; je réponds de tout.»Cette assurance rendit l espoir à Morrel : il quitta le substitutdu procureur du roi enchanté de lui, et alla annoncer au vieuxpère de Dantès qu il ne tarderait pas à revoir son fils.Quand à Villefort, au lieu de l envoyer à Paris, il conservaprécieusement entre ses mains cette demande qui, pour sauverDantès dans le présent, le compromettait si effroyablement dansl avenir, en supposant une chose que l aspect de l Europe et latournure des événements permettaient déjà de supposer, c est-à-dire une seconde Restauration.Dantès demeura donc prisonnier : perdu dans lesprofondeurs de son cachot, il n entendit point le bruit formidable 193 de la chute du trône de Louis XVIII et celui, plus épouvantableencore, de l écroulement de l empire.Mais Villefort, lui, avait tout suivi d un Sil vigilant, toutécouté d une oreille attentive.Deux fois, pendant cette courteapparition impériale que l on appela les Cent-Jours, Morrel étaitrevenu à la charge, insistant toujours pour la liberté de Dantès, etchaque fois Villefort l avait calmé par des promesses et desespérances ; enfin, Waterloo arriva.Morrel ne reparut pas chezVillefort : l armateur avait fait pour son jeune ami tout ce qu ilétait humainement possible de faire ; essayer de nouvellestentatives sous cette seconde Restauration était se compromettreinutilement.Louis XVIII remonta sur le trône.Villefort, pour quiMarseille était plein de souvenirs devenus pour lui des remords,demanda et obtint la place de procureur du roi vacante àToulouse ; quinze jours après son installation dans sa nouvellerésidence, il épousa Mlle Renée de Saint-Méran, dont le père étaitmieux en cour que jamais.Voilà comment Dantès, pendant les Cent-Jours et aprèsWaterloo, demeura sous les verrous, oublié, sinon des hommes,au moins de Dieu.Danglars comprit toute la portée du coup dont il avait frappéDantès, en voyant revenir Napoléon en France : sa dénonciationavait touché juste, et, comme tous les hommes d une certaineportée pour le crime et d une moyenne intelligence pour la vieordinaire, il appela cette coïncidence bizarre un décret de laProvidence.Mais quand Napoléon fut de retour à Paris et que sa voixretentit de nouveau, impérieuse et puissante, Danglars eut peur ; 194 à chaque instant, il s attendit à voir reparaître Dantès, Dantèssachant tout, Dantès menaçant et fort pour toutes les vengeances ;alors il manifesta à M.Morrel le désir de quitter le service de mer,et se fit recommander par lui à un négociant espagnol, chez lequelil entra comme commis d ordre vers la fin de mars, c est-à-dire dixou douze jours après la rentrée de Napoléon aux Tuileries ; ilpartit donc pour Madrid, et l on n entendit plus parler de lui.Fernand, lui, ne comprit rien.Dantès était absent, c était toutce qu il lui fallait.Qu était-il devenu ? il ne chercha point à lesavoir.Seulement, pendant tout le répit que lui donnait sonabsence, il s ingénia, partie à abuser Mercédès sur les motifs decette absence, partie à méditer des plans d émigration etd enlèvement ; de temps en temps aussi, et c étaient les heuressombres de sa vie, il s asseyait sur la pointe du cap Pharo, de cetendroit où l on distingue à la fois Marseille et le village desCatalans, regardant, triste et immobile comme un oiseau de proie,s il ne verrait point, par l une de ces deux routes, revenir le beaujeune homme à la démarche libre, à la tête haute qui, pour luiaussi, était devenu messager d une rude vengeance.Alors, ledessein de Fernand était arrêté : il cassait la tête de Dantès d uncoup de fusil et se tuait après, se disait-il à lui-même, pour colorerson assassinat.Mais Fernand s abusait : cet homme-là ne se fûtjamais tué, car il espérait toujours
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